mercredi 20 octobre 2021

Statue de Pierre CORNELLE,

"Dans le bonheur d'autrui, je cherche mon bonheur."

 citation du Cid de Pierre Corneille


Place du Théâtre des Arts à Rouen une belle statue de Pierre CORNEILLE domine majestueusement l'espace publique. 

Pourquoi cette statue à cet endroit de la vie culturelle, musicale et théâtrale rouennaise ?



Pour le moins cette œuvre du sculpteur Jean-Pierre DAVID-D'ANGERS, bronze coulé à la cire perdue par le fondeur Thiébault, inaugurée le 19 octobre 1834 par le roi Louis-Philippe à la pointe de l'île Lacroix, connut un parcours agité avant d'être installée par la commune après la Seconde Guerre Mondiale sur cette place.

"Fuyer un ennemi qui sait votre défaut." 
(Polyeucte : 1643)

En effet,, le 19 juin 1940, l'armée française en déroute face à l'invasion des troupes allemandes, décide de dynamiter tous les franchissements de la Seine et fait sauter le pont Corneille. La statue reste intacte par miracle.
Les nazis occupants, en voulant récupérer pour leur industrie de guerre tous les métaux non ferreux, évaluent, trompés par les résistants, le poids de la statue à une tonne et demi et la soulèvent avec un palan prévu pour deux tonnes de charge. 
Patatras ! La statue pesant en réalité 4,540 tonnes tombe à marée haute dans La Seine où elle s'enlise. 
A marée basse les allemands la découpent pour la charger dans un camion pour l'emmener en Allemagne.
Coup du sort ! ce camion tombe en panne et la statue est sauvée !.
A la "Libération", lors de la reconstruction de la ville, la statue reconstituée  est mise en place face au Théâtre des Arts.




Au premier regard, ce qui me frappe dans cette statue c'est l'attitude majestueuse de l'homme de loi que fut Pierre Corneille en tant qu'avocat au Parlement de Rouen. 
Tenant aux mains une plume et une page blanche, l'écrivain, poète et dramaturge paraissent ensuite.

"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années." (Le Cid : 1626)

Pierre Corneille est né d'une famille de petite bourgeoisie rouennaise le 6 juin 1606, rue de la Pie (musée), tout prés de le place du Vieux Marché,  et est décédé à Paris le 1er octobre 1684.

Ses parents, soucieux de lui donner la meilleurs éducation intellectuelle de l'époque, le confièrent au  collège des jésuites de Rouen fondé en 1604.
Il y acquit une solide culture gréco-latine qui lui permit de se former au Droit pour être admis comme avocat au Parlement de Rouen.

La passion du dramaturge et du poète pour la traduction des textes de l'Antiquité  se ressent immédiatement quand on étudie les textes de Corneille.

 Au lycée d'Evreux, où j'étais interne, en première, monsieur Gislain, un remarquable pédagogue, m'ouvrit l'esprit à la dissertation par l'intermédiaire des pièces de théâtre de Corneille.
Si Pierre Corneille est d'abord ressenti comme un penseur sérieux, monsieur Gislain fit découvrir à ses élèves l'avocat qui explore le fonctionnement politique de la société depuis le temps de l'Antiquité mais il leur présenta surtout  l'écrivain du sentiment.

Pour l'anecdote, je fus interne dans ce lycée en même temps que Pierre Goldman, un juif athée révolutionnaire d'extrême gauche, fils d'un couple de résistants communistes polonais, Pierre m'ouvrit les yeux sur la réalité des déportations des juifs, des communistes, des gens du voyage, pendant le régime de collaboration de Philippe Pétain. 
Je garde un vif souvenir de mon camarade de classe dont les dissertations me dépassèrent  7 fois sur 10. 
De nos copies corrigées par monsieur Gislain sur le Cid, Pierre Goldman obtenu de notre singulier et original professeur la note exceptionnelle de 21/20 pour son art de raisonner alors que moi en seconde place un lamentable 18/20 car je m'étais plutôt penché sur les ressorts des sentiments des personnages, ignorant leur dialectique philosophique ! 
Vexé mais, avec le recul du temps,  les 3 points qui nous séparaient révélaient le talent de mon génial rival qui aurait pu devenir un grand écrivain. Notre professeur lu devant la classe à haute voix nos deux dissertations, la mienne était bonne, celle de Pierre originale et passionnante ! J'avais alors dit à monsieur Gislain que l'on reparlerait de Pierre Golgman  :"Oui, certainement mais j'espère en bien !" me répondit-il laconiquement.

Malheureusement, plus tard, Pierre Goldman défraya en effet l'actualité, engagé dans un mouvement révolutionnaire violent en relation avec l'ETA basque et accusé à tort ou à raison d'un double meurtre commis lors d'une attaque à main armée. Il a été abattu le 20 septembre 1979  vraisemblablement par un commando "Honneur de la Police" du SAC sous les ordres de "Debizet" qui trouvait scandaleux que Pierre Goldman soit remis en liberté après son procès en cour d'appel de Justice. 

Si je ne partageais aucune de ses idées subversives, ni ses passages à l'acte violents, je garderais toujours une profonde admiration pour cet intellectuel aux talents littéraire et dialectique vraiment exceptionnels. Son histoire tragique me bouleverse encore car j'ai aimé et admiré ce personnage mystérieux aux antipodes de ce que je suis. Il contribua, lui aussi, à libérer mon esprit du conservatisme bourgeois de ma famille.



Il ressemblait physiquement beaucoup à son demi-frère Jean-Jacques, célèbre auteur compositeur,  profondément blessé par cette lourde histoire familiale à porter. Au moins eurent-ils en commun une très grande intelligence exacerbée par une sensibilité à fleur de peau. 

Des expressions de Corneille sont passées dans notre langue courante sous forme de maximes dont beaucoup de gens ignorent l'origine :

"A qui sait bien aimer, il n'est rien d'impossible."
(Medée)

Raconter ses maux, souvent on les soulage."
(Polyeucte : 1643)

"L'Amour est un grand maître, il instruit tout d'un coup."
(Le menteur :1644)

"Un bien acquis sans peine est un trésor en l'air."
(Le menteur)

"Devine, si tu peux et choisis, si tu l'oses."
(Héraclius)

Et grâce aux belles photos de Gi-Heff, que le remercie, je peux boucler mon article sur une citation du Cid dont je subis actuellement la situation :

"Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N'ai-je tant vécu pour cette infamie ?"

Je vous renvoie, chers lecteurs, à vos classiques mais aussi au blog de mon ami :

Notes : 
Le collège des jésuites devient le prestigieux Lycée laïc Corneille  au début du XIX°siècle. Des statues de Pierre Corneille sont également visibles du public dans la cours d'honneur de cet établissement et à l'Hôtel de Ville de Rouen, jumelée à celle de Jeanne d'Arc.

Il faut visiter la splendide chapelle saint Louis
, synthèse entre le style gothique tardif et l'architecture classique; la chapelle du lycée Corneille, (ou église Saint-Louis), est une ancienne église, qui se trouve rue Bourg-l'Abbé, au sud du lycée Corneille, à Rouen. L'église fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 21 mars 1910. Elle abrite depuis 2016 une salle de spectacle de 600 places. Très méconnue des rouennais, elle est pourtant la troisième plus grande église de l'agglomération.

Pierre Goldman est l'auteur de deux ouvrages :

    • Souvenirs Qbscurs d'un Juif Polonais né en France  -Récit autobiographique écrit en prison- (Editions du Seuil, 1975)
    • L'Ordinaire Mésaventure d'Archibald Rapoport -Roman du désespoir et de la déraison- (Editions Juliard, 1977)
Gi-Heff est un professionnel de la communication remarquable : on peut lui demander de concevoir un blog, d'accomplir un reportage vidéo ou photographique, une présentation publicitaire ; vous ne serez pas déçus...




 
 

vendredi 8 octobre 2021

L'EGLISE SAINTE-JEANNE-D'ARC ET SES VITRAUX

 

QUAND LA MODERNITE MET EN VALEUR L'ANCIEN :

PLACE DU VIEUX MARCHE
-Une alliance entre une architecture avant-gardiste et des vitraux de la Renaissance-

L’EGLISE SAINTE JEANNE D’ARC ET SES VITRAUX

La Place du Vieux Marché est incontournable quand on visite Rouen car le souvenir de Jeanne d’Arc y est vivant ; réaménagée en 1979 par l’architecte urbaniste Louis ARRETCHE, l’ensemble architectural comprend les hâlettes, l’église et le monument national.


 La loi du 14 juillet 1920 a décidé l’érection au Vieux Marché de Rouen, d’un monument marquant la reconnaissance de la nation tout entière envers la fondatrice de l’unité française, brûlée vive par les anglais le 30 mai1431.

-Carte postale : statue de Maxime Réal del Sarte (1926)-



-Allégorie sur le supplice de Jeanne d'Arc-
-Grande aquarelle réalisée par André Le Noir-

  • Une phrase prononcée par André Malraux en 1964 est gravée dans la pierre sur le Monument national : «  Ô Jeanne sans sépulture et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants... »
  • L’église Sainte-Jeanne d’Arc traduit la volonté de Louis Arretch de renouer avec la tradition en donnant à l’édifice la forme d’un bateau renversé. L’impression d’élévation est donnée par les courbes de la coque et par le pilier vertical derrière l’autel. La chrétienté est symbolisée par les fenêtres en forme de poisson.
  • Les hâlettes marquent la vocation marchande de la place. C’est un endroit très pittoresque.



Louis Arretche était animé d’une seule recherche : celle de la pureté géométrique absolue.


UNE SUPERBE CHARPENTE :

-Photo de Jacques Charrat-

DES VITRAUX EXCEPTIONNELS :

Les magnifiques vitraux de la Renaissance ‹1520-1530) du chœur de l ’église Saint-Vincent disparue sous les bombardements de 1944 ne pouvaient pas être mieux mis en valeur dans cette église contemporaine. Tout ici symbolise l’alliance des arts anciens avec une vision moderne. 



Les vitraux ont été exécutés par Leprince de Beauvais et un verrier très influencé par Arnoult de Nimègue.

 Dans le cadre rapide d’une visite de Rouen, je ne commente que le très célèbre « Triomphe de la Vierge », vitrail mondialement connu réalisé par le génial Engrand Leprince en 1515.

L’iconographie permettait d’enseigner la religion au peuple car seule l’élite sociale (nobles, artisans, artistes, commerçants, hommes de lois et religieux) savait lire.

  UN CHEF D'OEUVRE



  • Replacé dans la perspective de la chute et de sa rédemption, au registre supérieur, c’est le Paradis avant la Chute : Adam et Eve triomphent entourés des vertus.
  • A la partie médiane ; la faute a été commise et c’est le triomphe du Mal, promené sur un char, précédé d’Asam et Eve déchus, suivis par le cortèges des vices.
  • Mais le dernier registre nous ramène à la pureté : c’est le triomphe de la Vierge Marie, la nouvelle Eve est assise sur un char d’or, tiré par des anges. Le char de la Vierge écrase le Serpent (le mal), alors que les prophètes et les patriarches de l’Ancien Testament ouvrent la marche. 






La composition s’inspirant des triomphes à la romaine, montre le goût de la Renaissance pour la culture antique et il faut aussi remarquer que le déplacement des personnages est esquisser par des pas de danse, ce qui rappelle que Engrand Leprince s’est inspiré aussi d’Albert Dürer.

 Enfin le maître verrier use du jaune d’argent en virtuose dans le modelé des visages.

 A montrer aussi aux visiteurs, la vue de Rouen avec sa cathédrale devant laquelle passent Adam et Eve déchus et le chevet de la cathédrale de Beauvais.


 Cette œuvre majeure de la Renaissance mérite à elle seule une visite à Rouen.

Merci à Gi-Heff de mettre notre patrimoine en valeur avec ses belles photographies.

C’est un plaisir de les commenter.


 

mardi 5 octobre 2021

LA FONTAINE SAINTE-MARIE à ROUEN

-LA FONTAINE STE-MARIE : ensemble architecturale symbolisant la ville de ROUEN-

Quand un Rouennais ouvre un robinet d'eau sait-il d'où elle vient ?

C'est un geste tellement ordinaire de nos jours qu'il en ignore l'origine et pourtant il est ancré depuis la nuit des temps au site exceptionnel de la capitale de la Normandie.

Entre Paris et Le Havre, seul endroit où 1800 mètres séparent le nid de la Seine des contres-forts du plateau calcaire, la ville de ROUEN est située sur une tête de méandre de la Seine vers laquelle s'abaissent des collines en amphithéâtre dont les vallées facilitent les échanges avec l'arrière pays.

 

-Allégorie de la ville de Rouen et à droite de l'élevage-

21 sources d'eau potable ont toujours alimenté la vieille cité close par des remparts depuis 1346, ce qui lui permit de mieux résister aux malheurs du temps, aux sièges des ennemies, et de favoriser les sources d'énergies par la construction de nombreux moulins.

Rue Louis Ricard, à 39 mètres d'altitude, dans l'alignement de la rue de la République et de la place Charles de Gaulle (Hôtel de Ville), la Fontaine Sainte-Marie, imposant monument de la fin du XIX° siècle, cache un colossal réservoir d'eau potable.

C'est une œuvre architecturale et artistique collective bâtie à l'emplacement d'un ancien cirque.

Cette fontaine est un terrain majeur de l'histoire sociale (Voire l'article ci-dessous sur le Livre des Fontaines).

On lui reproche sa lourdeur froide dépourvue d’âme, due au nombre excessif de ses symboles allégoriques.

La plupart des rouennais passent en effet devant sans lever les yeux, totalement indifférents et pourtant ils boivent tous les jours de l'eau issue du réseau souterrain complexe de distribution de cette source de vie.

 -Allégorie de l'Agriculture-

Il faut se rendre compte de la révolution des mœurs à la fin du XIX° siècle qu'apporta l'eau courante pour l'hygiène personnel et la salubrité publique. Au niveau de la santé publique, certaines épidémies comme la typhoïde, furent maîtrisées grâce à l'eau potable accessible à tous les ménages.

L’architecte Edouard de Perches gagna le concours organisé par la commune et il construisit de 1874 à 1879 cet ensemble.

Les sculptures animalières ont été réalisées par Alexandre Falguière ; le cheval central, le bœuf, les personnages symbolisant l'agriculture et l'élevage par Victor Peter; les enfants symbolisant les rivières de l'Aubec et du Robec par Alphonse Guilloux. Tout ce petit monde sombra dans l'oubli.

 

-La statue de LA SOURCE-
(Carte postale)

Seule une très jolie statue malencontreusement cachée aux yeux du public garde toute sa valeur artistique : "La Source", sculptée par Alphonse Guilloux, initialement prévue pour le square Solfirino face au Musée des Beaux Arts mériterait de rejoindre cet emplacement pour lui rendre justice en étant visible par les passants ou les visiteurs de la vieille ville.

La Fontaine Sainte-Marie avec son massif vaisseau voguant sur l'Aubette et le Robec, reste pourtant un intéressant témoignage de l'art sculptural de la fin du XIX° siècle.


JACQUES LE LIEUR ET LES CANALISATIONS D'EAU A LA RENAISSANCE 

-Jacques Le Lieur remet son Livre des Fontaines aux échevins de Rouen le 30 janvier 1526 -(Illustration du Livre des Fontaines)-


En 1519 Rouen exploite 3 sources d'eau potable pour environ 35 000 habitants : Gaalor, Carville et Yonville.

La source Gaalor, à proximité de la gare rive-droite, est une des plus anciennes de Rouen. Son nom, d'origine galloise, signifie "la boue, la fange"; mais au Moyen-Âge les rouennais l'appelaient plus crûment "la Fontaines des putains".

La source Carville est située à l'Est de la ville, dans la vallée de Darnetal. C'est le cardinal Georges 1er d'Amboise, grande figure de la Renaissance, qui ordonna sa captation pour fournir 1200 m3 d'eau par jour dans le quartier très populaire de Saint-Hilaire (Voire rue Eau de Robec et les teinturiers). Avant la Révolution, l'Abbaye de Saint-Ouen était la propriétaire de cette vallée. Aujourd'hui les maraîchers continuent à exploiter ces terres fertiles et vendent leur production sur les marchés locaux. 
Voire le beau reportage de Gi-Heff sur son blog : 

La Source d'Yonville, appelée "Source Saint-Filleul", captée en 1510, grâce à Guillaume Le Roux, au pieds de Mont-Saint-Aignan, fournissait 160m3 d'eau.

-Rouen à la Renaissance (illustration du Livres de Fontaines)-


Vieux de 500 ans le "LIVRE DES FONTAINES" (1526) est un précieux document iconographique, unique en Europe, qui présente les trois principales sources et décrit très précisément  le cheminement de l'eau potable par des galeries souterraines vers les 18 autres fontaines du centre de Rouen. Cet ouvrage, étonnant de précision pour l'époque, est une référence mondiale encore de nos jours.

-Le coffret contenant le Livre des Sources- 

-Sur 9,5 mères de long, les parchemins relèvent le plan hydraulique de Rouen-



Sur de grandes bandes de parchemin soigneusement pliées sont peints les monuments, les rues avec leur nom, les enseignes de l'époque en représentant avec une précision inouïe le réseau hydraulique de la cité :





-Le cours de la Fontaine de Carville (Darnétal) : le Robec et un de ses moulins-



Jacques Le Lieur, notaire-secrétaire du roi de France, conseiller de la ville de Rouen, député aux Etats de Normandie, poète, en est l'auteur génial




Pour l'anecdote, en 2012, des travaux ont percé par erreur rue Verte un aqueduc millénaire (souce Gaalor) dont la position avait été pourtant consignée au mètre près par Jacques Le Lieur en 1526. 
Les riverains se souviennent des importants dégâts provoqués par cette erreur de chantier. 18 rue Verte, un immeuble et un magasin d'épicerie fine menaçant de s'effondrer sont encore évacués et interdits d'accès.