ANECDOTES

BOIRE A TIRE LA-RIGAUD




-Le deux orthographes sont admis-

Autre fois, au XIII° siècle, une cloche monumentale fut offerte par l'archevêque Odon Rigaud pour la Tour Saint Romain de la cathédrale de Rouen. 
Quelque peu vaniteux sur les bords ce prélat la baptisa de son nom car tous moyens sont bons pour graver son nom dans l'histoire des hommes. 

Les cloches de grandes tailles mobilisaient des sonneurs qui par leur force physique les mettaient en branle tel Quasimodo le héros de Notre Dame de Paris de Victor Hugo.

"Boire à tire-Larigot ou tire la-Rigaud", les deux orthographes sont admises, repose sur une histoire qui rappelle l’expression boire comme un sonneur.

Au XIIIe siècle, cette cloche appelée la cloche Rigaud et par abréviation "la Rigaud", ne pouvait être mise en branle sans de grands efforts physiques de 12 hommes avec quatre demie-roues et quatre "chables" (grosses cordes). 




Les sonneurs étaient naturellement d’autant plus altérés qu’ils avaient plus de peine, et l’on a été ainsi amené à regarder ceux qui buvaient beaucoup (pour se donner du cœur à l'ouvrage) comme des gens qui auraient tiré la Rigauld. 

"Larigot" est aussi une sorte de petite flûte et son association au verbe boire s'expliquerait par son utilisation pour "tirer" d'une petite bouteille l'alcool comme on le fait aujourd'hui avec une paille.

Bref, Rouen serait à l'origine de cette expression populaire.





Cette cloche fut descendue de la tour Saint-Romain par les révolutionnaires pour être fondue et reconvertie en canons mais, n'en demeure pas moins, que que son nom est demeurée dans le langage populaire mais que la plupart des gens en ignore l'origine.

-Style gothique rayonnant et style flamboyant-

Cette fameuse tour Saint-Romain, au nord du parvis occidental, est la partie la plus ancienne de la cathédrale et marque la transition entre le style roman et le style gothique. Commencée en 1145, sa base très massive, sans aucune ouverture est bien celle d'une forteresse. Peu à peu elle s'élève et passe du style gothique rayonnant du XIII° siècle au style Flamboyant du XVI° siècle.

-La tour Saint-Romain (Rouen)-

Elle contenait un carillon de 11 cloches dont la fameuse Rigaud.

La tour en subissant les terribles bombardements du 1er juin 1944 fut incendié et partiellement détruite. Elle fut restaurée et recouverte de son élégante toiture en hache en 1984. 

Une nouvelle cloche de 20 tonnes, la Jeanne d'Arc,  fut réinstallée en 1959. (11 janvier 2019)

-la Jeanne d'Arc-






MOT DE PASSE
Porte Guillaume-Lion
                                                                      
La duchesse et le président
(Fait divers historique 1626

La Porte Guillaume-Lion, quai de Paris, seule rescapée de la ville fortifiée jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, donne l’occasion d’évoquer un fait divers historique. 

-La porte Guillaume Loin sur les quais de Rouen-


Chaque nuit, au début du XVIIème siècle, une milice bourgeoise montait la garde aux portes de la ville.
En 1626, un incident éclata et marqua la vie anecdotique locale :
Le gouverneur (le duc de Villars Brances) et le premier président du Parlement (monsieur de Frainville) étaient absents. 
-Le duc de Villars Brances-


Le commandement de la milice revint donc au plus ancien capitaine de la compagnie, un bon bourgeois de Rouen. Quand celui-ci fut avisé de la visite dans la ville de la duchesse de Villars Brances, l’épouse du lieutenant général.

-La duchesse de Villars Brances-

La milice lui rendit normalement les honneurs mais, quand elle passa la porte de la ville,  elle demanda quel était « le mot de passe ».
- Il n’y a pas de mot d’ordre, répondit le capitaine un peu embarrassé.
- Comment pas de mot d’ordre ! On peut entrer dans la capitale de la Normandie comme dans un moulin !
- Les responsables sont absents…
- C’est bien, fit la duchesse ; je prends le commandement au nom de mon mari. Réunion immédiate de tous les officiers chez moi. Rompez !
Quand ceux ci se présentèrent  elle leur tint le discours suivant :
- Messieurs, j’ai appris avec regret que la ville était quasiment abandonnée et que l’ennemi la pouvait surprendre sans coup férir ! Ainsi donc, jusqu’à nouvel avis, c’est moi qui chaque soir vous communiquerai le mot de passe. Ce mot sera pour aujourd’hui : « les absents ont tort ! »
A son retour, monsieur de Franville fut immédiatement reçu par la duchesse qui lui confirma qu’elle ne remettrait le commandement qu’au gouverneur, son époux. Décontenancé, le président se retira mais, ne voulant pas s’incliner, il imposa aux miliciens un second mot d’ordre et envoya un message au roi lui demandant de trancher le différent qui l’opposait à la duchesse.
Après trois semaine de ce petit jeu, cette dernière laissa entendre qu’elle ne consentirait à renoncer à son commandement qu’à la condition de passer deux jours de suite toute la milice en revue avec présentation de chaque officier. Monsieur de Frainville refusa tout d’abord, puis après avoir réfléchi toute la nuit, il fit rassembler toute la milice. La duchesse, plus souriante que jamais, salua gracieusement toute la compagnie et passa en revue les troupes en n’oubliant pas de donner le mot d’ordre pour le lendemain.
Mais voilà que le courrier du roi se présenta chez le président le lendemain à l’aube : «  le droit de commander les armées de ville appartient au Parlement de Normandie et à lui seul ». 
Quelle catastrophe ! Le pauvre président s’était humilié inutilement.
Quelques instant plus tard, un nouveau coup du sort l’attendait ; un page lui apportait un message : la duchesse présentait au premier président ses compliments et ses civilités les plus humbles ; elle lui faisait connaître qu’elle avait quitté Rouen ce matin même. Ainsi la rusée, avertie de la décision royale, lui avait joué la comédie et s’était bien moquée de lui !
Les officiers lui demandèrent le mot de passe pour la nuit. Dans son émoi, celui ci n’y avait pas songé… Ce fut madame de Frainville qui sauva la situation :
- Pour mot d’ordre, dit-elle aux officiers en quittant la ville par la porte Guillaume-Lion, vous aurez ce soir : « Ce que femme veut, Dieu le veut ! »






LA FÊTE DES CONARDS 

-Place du Lieutenant Aubert (Rouen)-



Autrefois avait lieu, place du Lieutenant Aubert, l'équivalent d'un carnaval burlesque et paillard servant de défouloir populaire. Tous les excès donnaient l'occasion de se moquer des pouvoirs institutionnels et des cocus notoires entre autres...
Cette place était la plus vaste de la cité au Moyen-Âge et elle symbolisait aussi la frontière, avec la rue d'Amiette, entre les quartiers bourgeois artisanaux et commerçants de l'Ouest et les quartiers pauvres de l'Est.



-Etendard de la confrérie des conards de bourgogne-

Sur un petit pont (ponchel) enjambant le Robec qui la traversait, était dressée une estrade sur laquelle les meneurs de "la confrérie des conards" haranguaient la foule.
Ils poussaient la facétie jusqu'à orner le bonnet de ses membres d'une paire de cornes, élire un abbé le jour de la saint Bernabé, le promener en cavalcade à travers la ville, assis à l'envers sur un âne, ou sur un charriot, et pour finir, interpréter des "saynètes" ridiculisant tant l'Église, les notables ou le roi.
-Charriot des conards (Rouen)-

Les Conards – on trouve aussi l'orthographe ancienne « Cosnards » – est le nom d'une confrérie et de la fête carnavalesque qu'elle organisait jadis à Rouen lors des jours gras, depuis le XIV° siècle jusqu'au XVII° siècle. Il existait également des confréries de Conards à Évreux, à Cherbourg, et au Puy-en-Velay.
La fête et la confrérie de Rouen disparurent, victime d'une interdiction promulguée par le Cardinal de Richelieu.
Toutes ces confréries représentaient l'équivalent dans ces villes d'autres confréries telles que le Badin et le Turlupin à Paris, à Poitiers le Mau-gouverne, à Dijon la Mère folle, etc.

 Adolphe de Chesnel écrit en 1846 à propose des Conards de Rouen :
"Cette fête burlesque avait lieu à Rouen. À l'approche des jours gras, on présentait à la grand'chambre une requête en vers qui faisait aussitôt suspendre les travaux de la justice.
Cette requête était l'œuvre d'une confrérie nommée les Conards. La cour répondait avec la même joyeuseté et accordait une sorte d'autorisation de faire le diable.
Alors la ville devenait la proie de ces Conards qui faisaient des mascarades des processions, appelaient à leur ban les maris jaloux et trompés, décochaient de satires à tort et à travers, et faisaient de toute la ville un véritable théâtre de Saturnales.
Pendant tout le jour, les Conards allaient, recueillant des chroniques, et faisaient leur rapport à leur abbé, à leurs cardinaux et patriarches réunis en conclave. Il n'était pas un fait qui prêtât à rire qui ne devint leur propriété et ne fut inscrit sur leurs rôles; puis venaient les séances et les jugements de l'aréopage.


La cour s'assemblait en plein air, et dans le lieu où elle pouvait avoir l'auditoire le plus nombreux (Place du Lieutenant Aubert).
Durant trois jours, ce tribunal était en marche, conduit par des fifres et des tambours. Les gens en place et toutes les classes de la société passaient sous la férule des Conards.
L'abbé, porté sur un chariot, ainsi que les cardinaux et ses patriarches, donnait sa bénédiction à la foule, en même temps qu'il faisait pleuvoir sur elle une nuée de quatrains et d'autres pièces de vers qui portaient le rire chez tous ceux qui les ramassaient. Un banquet splendide réunissait ensuite l'abbé et toute la confrérie sous les halles, et pendant sa durée, un ermite lisait à haute voix "la chronique de Pantagruel".

 Après le repas, on jouait des moralités et des mystères, et enfin les danses avaient leur tour. La docte assemblée décernait aussi un prix aux bourgeois de Rouen qui, au dire de la majorité, avait fait la plus sotte chose dans l'année"


LA COMMÈRE ET LOUIS XI 

Vers la fin du XVème, tous les principaux boutiquiers rouennais étaient déjà installés rue du Gros Horloge.


-Le Roi Louis XI (Rouen)-

Le roi Louis XI, quand il passa à Rouen fut salué par les plus jolies filles de la ville. Comme de coutume, il en choisit une pour la nuit. Il choisit Rose, une bien jolie jouvencelle, qui dut bien remplir son devoir car pour remercier son écuyer Martin de ses bons services, décida de la lui donner en mariage !

C'est ainsi que le roi payait ses gens avec « l’argent des autres » !


-Etiennette Le Thellier et l'envoyé du roi (Rouen)-

Dame Etiennette, épouse de Jehan le Tellier, reçut un parchemin du roi lui mandant sa fille. « Comment ! Le roi de France veut disposer de la main de ma fille ? Depuis quand les Normands ne sont-ils plus maîtres chez eux ? » explosa-t-elle, roide de colère.

Elle dit à l’envoyé du roi venu chercher la réponse : « Je suis tout à fait marrie. J’aurais aimé vous charger immédiatement de mon acquiescement, mais sa Majesté sait bien que le droit normand oblige l’épouse à attendre l’avis de son époux ; mon mari est à la foire annuelle de Troyes pour y porter ses draps. Il m’est donc impossible de décider sans lui. Revenez dans cinq ou six jours, maître Jehan sera revenu et il saura bien répondre à notre redouté seigneur. »
Le messager dut se contenter de cet avis qui était, en vérité, une belle réponse de normande rusée.
-Le échevins du Parlement (Rouen)-

Dès qu’il eut pris congé, dame Etiennette gagna l’Hôtel de Ville. Les échevins y étaient assemblés et elle vint se planter au milieu d’eux et les mit au courant des projets du roi : « Allons, allons, s’écria-t-elle, n’allez-vous pas protester ? Ce sont pourtant nos privilèges qui sont en jeu ! Rappelez-vous plutôt : nous possédons la célèbre « Charte aux Normands » et Louis XI l’a ratifiée ! En Normandie, nous sommes francs et libres ; libres de disposer de nos enfants ! Ce serait servitude si le roi mariait nos filles contre le gré de leurs parents ! Il ne s’agit point du Royaume mais de nos affaires privées ! »

La plupart des conseillers estimèrent que la femme du marchand de draps avait raison mais qu’il était bien grave de résister à Sa Majesté : «  La prière du roi ne vaut-elle pas commandement ? »

Quand Jehan le Tellier rentra chez lui, après avoir traité de bonnes affaires à Troyes, il fut bien ennuyé car c’était un homme paisible n’ayant aucun goût pour les histoires. Il ne put désavouer son épouse, en admirant en silence son caractère et son esprit hardi ; il se résolut donc à la laisser agir.

A son retour, le messager fut reçut en grande pompe dans la grande salle du logis en présence de l’échevin, du grand vicaire de Notre-Dame et de tous les amis de la famille. C’est Etiennette qui prit la parole : « Vous êtes venu, monsieur l’Ecuyer, quérir la réponse à la prière du roi notre sire, concernant notre fille. Eh bien écoutez : puisque le roi, notre sire, entend désormais marier nos filles sans consulter les parents, il n’est que juste et logique que ce soient elles et elles seulement qui fassent réponse au roi. Nous n’avons plus à nous mêler de cette affaire… Nous allons prier notre fille de venir donner sa réponse ». Etiennette fit donc venir Rose, fort intimidée, qui déclara en baissant les yeux : « J’ai beaucoup de reconnaissance au roi qu’il veuille ainsi me marier. Mais je dois lui déclarer que je n’ai aucun vouloir de me marier ». Et elle se tut, en gardant une contenance modeste et entièrement détachée des choses de la terre. Chacun aurait pu penser qu’elle avait le désir de se faire religieuse, et le jeune voisin qui assistait à la scène en fut effrayé.

« Et voilà, s’écria dame Etiennette, vous avez entendu : ma fille n’a aucun vouloir de se marier… Le roi osera-t-il aller contre le gré de cet enfant ? »
« Non, sans doute, fit l’écuyer, passablement embarrassé, mais vous connaissez  mon maître ; je risquerais fort sa colère en lui rapportant moi-même cette scène. Donnez-moi cette réponse par écrit ! »

C’est ainsi qu’il rapporta au roi ce pli :
« Mon souverain Seigneur, je me recommande à votre bonne grâce, tant et si humblement que je puis… Il y a déjà longtemps que l’on a fait requérir par plusieurs fois cette fille pour l’avoir en mariage et toujours a fait réponse qu’elle n’avait aucun vouloir  de se marier. Pour ce, veuillez donc nous excuser et notre fille aussi, priant Dieu, mon redouté Seigneur, qu’Il vous donne bonne vie et longue. Ecrit à Rouen, le 24° jour de juing »

« Pâques Dieu ! s’écria Louis XI, voilà une plaisante réponse. Cette bonne femme se moque de moi. Elle me refuse sa fille et m’octroie en échange belles révérences Mais quoi, je ne vais pas lutter contre tous ces gens-là ! Console-toi, mon pauvre Martin, tu n’épouseras pas la Rouennaise mais je te trouverai un Angevine  qui la vaudra bien !


-Un mariage au Moyen-Âge-

Quelques semaines plus tard, il y avait grande foule dans la rue du Gros Horloge car Rose se mariait avec son voisin et n’eut aucune envie de dire non. 


Dame Etiennette en s’opposant au roi de France, symbolise bien le caractère normand qui sait  faire respecter les privilèges de « la Charte aux  Normands ».

Cependant, en conclusion à cette anecdote, ajoutons qu’il est toujours bon d’avoir une femme de caractère chez soi pour un brave homme ; croyez un homme d’expérience !

Il se dit d'ailleurs dans la famille de mon épouse, qu'Etiennette serait une aïeule mais sans aucune preuve autre qu'un caractère affirmée des filles de génération en génération. En tout cas cette hypothèse ne me déplaît pas, même si j'en doute très fort...


La Charte aux Normands ou le droit normand

-Louis le Hutin octroyant aux Rouennais la "Charte aux Normands-

Le 19 mars 1315, pour faire taire l'esprit de révolte de ses sujets, Louis le Hutin, faible roi de France, octroya aux Rouennais la fameuse "Charte aux Normands" qui sera considérée jusqu'en 1789 comme le symbole du particularisme juridique normand.

Le droit Normand garantit à la Province une autonomie financière avec ses élections sous la responsabilité d’élus, une généralité avec un général super intendant, un receveur général, une cour des aides, une autonomie judiciaire avec l’institution d’un parlement permanent, siégeant à Rouen. Des gouverneurs et des officiers de la couronne s’assurent de la fidélité de la province. (6 octobre 2018)

-Référence bibliographique : "Contes et légendes de Normandie" par Philippe Lannion, édition Fernand Nathan (1950) page 195